Le vrai thé tibétain

Je suis rentré hier d’un voyage de deux jours à Ya’an, voyage ayant pour but de perfectionner ma connaissance du thé tibétain, rencontrer les acteurs du thé à Ya’an et en visiter les principales usines. Il est très probable que vous ne sachiez pas ce que j’entends par « thé tibétain » (en chinois 藏茶, zangcha), ce thé étant très peu connu, même à l’intérieur de la Chine parmi les amateurs de thé.

Le vrai thé tibétain n’est pas ce qu’on appelle communément thé tibétain, et qui est en fait un thé salé et au beurre de yack (ce thé là est relativement connu, en chinois on l’appelle 酥油茶, suyoucha. Il existe sous différentes variantes au Népal, Inde, etc). Mais le thé tibétain est un produit composé uniquement de feuilles de thé. C’est un thé nature qui justement est l’ingrédient de base du thé au beurre de yack, mais il peut aussi se boire seul.

Ya’an

Ya’an est une ville du Sichuan située à environ 120 kilomètres au sud-ouest de Chengdu. Ya’an, dont le surnom est la ville de la pluie (雨城, yucheng), un surnom très adapté vue la météo de ces deux derniers jours, n’est pas située au Tibet, mais au carrefour entre la plaine du Sichuan, le plateau du Tibet-Qinghai et le plateau du Yunnan-Guizhou. C’est une ville située entre Chengdu et la ville tibétaine de Kangding. Autrefois, Ya’an faisait même partie de la province du Xikang.

Nous sommes venus dans cette ville pour approfondir notre connaissance du thé tibétain, car c’est là qu’est produit la majorité du thé consommé au Tibet. Ya’an était autrefois un des points de départ de la route du thé et des chevaux.

L’ancienne route du thé et des chevaux

Le théier, ou camelia sinensis, est un arbuste poussant généralement à des altitudes comprises entre 1000 et 2000 mètres d’altitude. Par conséquent, il n’y a pas de thé dans les hauteurs tibétaines. Or, le Tibet ayant très peu de terres arables, l’essentiel de l’alimentation y est traditionnellement composée de viande (yacks, moutons, etc). Les fruits et légumes y sont quasi inexistants. Cette alimentation présente donc des carences, notamment en certaines vitamines.

Depuis toujours donc, les Tibétains doivent se fournir auprès des Chinois en ce précieux aliment. L’établissement d’une route acheminant du thé jusqu’à Lhassa date vraisemblablement du roi Songtsen Gampo (au VIIIème siècle, durant la dynastie chinoise des Tang), qui épousa la princesse chinoise Wencheng. Plus tard, les Chinois y trouvèrent plusieurs bénéfices : l’échange du thé contre les chevaux tibétains plus robustes et meilleurs pour la guerre, et un moyen de contrôler les Tibétains, le thé étant un aliment pour eux aussi nécessaire que des produits de base comme l’huile, le sel, etc.

Route du thé et des chevaux

 

 

 

 

 

 

 

On attribue souvent trop d’importance à la route du thé partant du Yunnan (de la ville de Pu’er parfois orthographié Puerh et autrefois appelé Simao). Cette route est moins importante que la route partant du Sichuan pour différentes raisons :

  • Raison historique : la route partant du Sichuan est plus ancienne : elle date d’il y a 1300 ans à l’époque de Songtsen Gampo. La route du Yunnan est plus tardive. Le Yunnan était jusqu’au XIIIème siècle un royaume indépendant jusqu’à la prise par les Mongols (dynastie Yuan). Il semblerait que c’est à cette époque que se soit développée la route du thé du Yunnan au Tibet.
  • Politiquement : la route du thé partant de Ya’an était stratégique pour les relations Chine-Tibet, elle était donc le fruit d’une volonté politique. La route partant de Pu’er n’avait pas cette dimension. D’ailleurs le thé produit dans le Yunnan n’était pas produit par des Chinois Han, mais d’autres ethnies, alors qu’il était produit par les Han dans le Sichuan.
  • En volume : la quantité de thé du Yunnan acheminé vers le Tibet était de l’ordre d’un dizième de la quantité de thé provenant de Ya’an.
  • En qualité : le thé de Pu’er est du point de vue des Tibétains de moins bonne qualité que le thé de Ya’an. Il n’est pas adapté pour fabriquer du thé au beurre de yack. Il faut pour cela du thé de Ya’an.

Depuis Ya’an, le thé était d’abord acheminé à dos d’homme jusqu’à Kangding, avant de laisser sa charge à des animaux (yacks). Les hommes alors portaient des charges parfois bien plus lourdes que leur propre poids (plus de 100 kilos).

Particularité du thé tibétain

Outils route du thé

 

 

 

 

 

 

Le thé en général a plusieurs systèmes de classification. On classe le thé suivant le degré d’oxydation des feuilles de thé. Chez nous, on distingue donc trois sortes de thé : le thé vert qui n’est pas du tout oxydé, le thé oolong qui l’est en partie, et le thé noir qui l’est complètement. À quelle catégorie appartient donc le thé tibétain ?

En Chine, on suit un autre système de classification avec des couleurs : vert, blanc, jaune, bleu-vert, rouge (qu’on appelle thé noir), et enfin noir. Le thé que les Chinois appelle thé noir comporte le thé tibétain ainsi que le thé Pu’er cuit (熟茶, shucha) et d’autres. Chez nous, on l’appelle parfois thé noir-noir, thé sombre ou thé fermenté. C’est un thé qui a subit un processus différent de l’oxydation : il y a eu une fermentation des feuilles de thé. Cette fermentation se poursuit au fil du temps. Le thé noir chinois est donc un thé qui se conserve et se bonifie avec le temps. Lors de mon séjour à Ya’an, j’ai goûté par exemple un cru 1985 de thé tibétain. Comme on dit, c’était pas dégueulasse.

Ceux qui connaissent bien le thé savent que le thé Pu’er comporte deux grandes variétés résultant de deux processus différents (thé cru ou thé cuit). Par comparaison, le thé tibétain tel qu’il est consommé au Tibet est toujours du « thé cuit ».

Briques de thé tibétain

Autrefois, il fallait parcourir des milliers de kilomètres pour rejoindre Lhassa. Le thé qui était d’abord un thé vert (thé cru) était compressé en briques et conditionné dans un emballage végétal non hermétique, une forme plus pratique pour le transport sur cette longue distance.

Or, sous l’action des variations de température, la pluie, la transpiration des animaux utilisés pour le transport, le thé fermentait pendant le voyage. Lorsqu’il arrivait à Lhassa, il était assez différent du thé d’origine : il était devenu un thé fermenté, en quelque sorte « cuit naturellement »

Outils compression thé tibétain

Beaucoup plus tard, on a développé une technique de transformation du thé plus adaptée au monde moderne : le thé peut maintenant être fermenté en accéléré sur le lieu d’origine, produisant directement du thé cuit.

Le mieux est quand même le thé que l’on laisse fermenter tout doucement, en le stockant sur le long terme, comme dans cette usine de thé que nous avons visitée :

Sèchage briques de thé tibétain

La fabrication du thé tibétain ressemble à la fabrication du thé Pu’er mais avec quelques différences, et le goût est aussi assez différent (le goût de moisi est plus prononcé chez le thé Pu’er). Le thé tibétain est aussi un thé qui se présente sous forme compressée. Le plus souvent sous forme de briques (alors que pour le thé Pu’er il y a des galettes, des nids, etc).

Mon retour à Chengdu

J’aurai l’occasion plus tard de reparler du thé tibétain. Je m’arrête pour aujourd’hui car je n’ai pas assez de temps pour le moment.

Demain à l’aube, à l’heure où blanchit le ciel de Chengdu, je partirai pour Xichang. C’est à vélo que je vais parcourir les cinq cent et quelques kilomètres séparant les deux ville. L’itinéraire passe par Emeishan, Ebian, Ganluo, Yuexi. L’altitude maximale sera d’environ 3000 mètres (Chengdu étant à 500 et Xichang à 1500). Un itinéraire ridicule par rapport à la route du thé… Mon prochain article sera bien sûr au sujet de ce petit périple. Dans quelques jours donc.

Carte vélo Chengdu Xichang

4 réflexions au sujet de « Le vrai thé tibétain »

  1. Très intéressant d’en apprendre un peu plus sur le thé tibétain ! Bon courage pour l’itinéraire à vélo. Si l’idée te prend, n’hésite pas à faire quelques marches à Emeishan (en portant ton vélo bien sûr) 🙂

  2. « Si l’idée te prend, n’hésite pas à faire quelques marches à Emeishan (en portant ton vélo bien sûr) »

    Eh bah.. Déjà que sans vélo, c’est pas bien folichon… 😀

    1. Bonjour Barbara,

      Merci de votre commentaire. L’usine visitée était l’usine « Ya’an Youyi Tea Company ». C’est l’une des quelques usines réputées de Ya’an produisant ce type de thé. N’hésitez pas à me contacter si vous repassez dans le coin et souhaitez découvrir sur le thé, j’ai de très nombreux contacts dans le domaine du thé dans tout le Sichuan.

      Pierre-Jean

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