Noms et prénoms en Chine

Chaque couple qui attend un enfant est confronté à la même question du choix du prénom. Il faut que le prénom soit beau, qu’il soit original, qu’il ait une signification, etc. Quand le couple est mixte, il faut parfois choisir deux prénoms, un dans chaque langue. C’est le cas du mien : nous devons choisir un prénom français, et un prénom chinois.

Garçon ou fille ?

Comme expliqué dans un post précédent, il est interdit en Chine de déterminer le sexe de l’enfant avant la naissance. Il y a en effet un ratio déséquilibré en Chine entre les naissances des garçons et des filles, dû à un nombre important d’avortements sélectifs. Variante de l’avortement : on abandonne l’enfant femelle à la naissance dans la nature… Remarquez que ces avortements ont majoritairement lieu dans les campagnes où on estime que les garçons seront plus utiles que les filles.

Ceci dit, le problème peut aussi exister en ville, dans les familles où la mentalité est très traditionnelle. Avoir un fils, c’est en effet l’assurance de transmettre son nom à la génération suivante, c’est l’assurance de faire perdurer l’histoire de sa famille. J’avais dans un autre post évoqué l’importance de la lignée mâle qui se reflète dans le langage :

– Différence d’appellation entre les petits-enfants, selon qu’ils soient nés de la fille ou du fils. En effet, on ajoute le préfixe wai (外) qui signifie « extérieur » pour les petits-enfants nés d’une fille, puisqu’ils apprtiennent à la famille de leur père.

– Différence d’appellation des cousins : les cousins tang ont le même grand-père paternel, et qui sont donc de la même lignée mâle, contrairement aux cousins biao.

Pour revenir aux avortements sélectifs, le phénomène a été évidemment accru par la politique de l’enfant unique. Ceci dit, cette politique s’est récemment assouplie : être enfant unique donne le droit d’avoir deux enfants (peu importe si le conjoint est ou non enfant unique lui-même). Dans cette situation, si le premier enfant est une fille, le couple peut avoir envie d’avoir un garçon et décider d’avorter si le deuxième enfant est aussi une fille. Dans certaines familles, la femme peut subir une grosse pression de la part de la famille de son mari (notamment sa belle-mère) pour qu’elle donne naissance à un garçon. Les parents du mari le poussent parfois à divorcer et trouver une nouvelle femme, afin de pouvoir tenter avec elle d’avoir un fils…

Bref. Nous avons pu malgré cette interdiction, connaître le sexe de notre enfant, grâce à une connaissance de la famille, qui se trouve être infirmière au service gynécologie d’un hôpital de Xichang. L’échographie est clandestine : nous venons tôt le matin, ne faisons pas la queue, ne payons rien. Nous allons directement dans une salle d’échographie. L’infirmière est debout derrière le médecin qui pratique l’échographie, complice mais muet. C’est dans le couloir en sortant que l’infirmière nous glisse : « Apparemment, c’est un garçon ». Bon, ce n’est pas sûr à 100%, mais très vraisemblable.

Au moins, le fait de savoir que ce sera un garçon nous économise de chercher aussi un prénom féminin.

Le nom en Chine

Pour le prénom français, c’est logiquement moi qui choisis ; pour le prénom chinois, c’est ma femme. Alors comment fait-on en Chine pour choisir le prénom ?

Aujourd’hui, une loi en Chine oblige à ce que tous les nouveaux-nés aient un nom (patronyme+prénom) en trois caractères (ou quatre), pour limiter la répétition des noms dans ce pays qui comporte plus d’un milliard d’habitants, et où les noms de famille sont en nombre assez limités : environ 85% de la population chinoises partagent les 100 noms de famille les plus courants. Un document appelé Les 100 noms de familles (百家姓, bai jia xing) est un texte écrit au début de la dynastie Song (960 à 1279) et comportant les noms de famille les plus courants de Chine. En fait, il comportait 411 noms à l’origine et a ensuite été complété jusqu’à 504 noms. Les noms les plus courants sont Wang, Li, et Zhang. Ci-dessous la liste des 100 noms les plus portés en Chine (c’est en quelque sorte le « nouveau bai jia xing »).

100 noms chinoisPetite parenthèse sur la taille des noms : certaines minorités ethniques comme les Yi ou les Tibétains ont semble-t-il toujours un nom en quatre syllabes. Ceci dit, je n’ai pas encore étudié la question en détail.

Dans l’ancienne Chine, le nom complet était constitué de quatre parties, voire plus. Dans la Chine antique, les quatre parties étaient xing shi ming zi (姓氏名字). Les deux premiers caractères constituent le patronyme, transmis de père en fils. Xing désigne le nom de famille ou nom des ancêtres, shi désigne le nom du clan. Le deuxième caractère a été créé à l’époque de la Chine féodale il y a plus de 2000 ans pour distinguer les différents fiefs que se partagaient les seigneurs d’une même famille. Après l’unification en un empire avec Qing Shi Huang Di, le premier empereur (en -221), les patronymes ont commencé à être attribués aux classes inférieures de la société (ils étaient auparavant réservé aux seigneurs), et la différence entre xing et shi a commencé à s’effacer. Remarquez que les noms de famille en Chine existent depuis des millénaires, alors qu’ils n’existent que depuis le Moyen-Âge en Europe (au XIIème siècle en France).

Petite parenthèse mathématique pour les curieux : le processus de Galton-Watson modélise la diminution du nombre des noms de famille avec le temps. Le phénomène est très intuitif : dans un système patrilinéaire, un nom ne survit que s’il existe une branche ininterrompue de naissances successives de garçons.

Remarque : le fait que le caractère 姓 soit composé des caractères 女 (nv, qui veut dire femme) et 生 (sheng, qui veut dire naître), suggère qu’autrefois, la société chinoise était matrilinéaire. En fait, on estime que c’est durant la dynastie Shang (-1600 à -1046) que la société chinoise serait devenue partilinéaire.

Ming représente le prénom ne naissance que donnent librement les parents à leurs enfants. Ming peut être composé d’un ou plusieurs caractères. Par exemple, Mao Zedong a pour prénom Zedong (deux caractères 泽 ze et 东 dong). Remarquez qu’en chinois, on donne le nom avant le prénom et qu’on appelle toujours une personne avec tous les caractères (même s’il s’agit de son propre enfant, ont l’appelle par son nom et prénom)

Zi est le « prénom de style », il était donné à un enfant lors d’une cérémonie de passage à l’âge adulte (成年礼, cheng nian li), 20 ans pour les garçons, 15 pour les filles. Zi peut contenir une explication du prénom.

Parfois, une cinquième partie est ajoutée, le hao (号), ou « alias ». C’est un surnom qu’une personne peut choisir lui-même, ou que d’autres personnes peuvent lui donner, de son vivant ou après sa mort. Parfois, le hao représente un nom de lieu. En chinois aujourd’hui, wai hao (外号) est d’ailleurs un « surnom », il est souvent choisi n’importe comment par ses amis.

De plus, à l’époque des Trois Royaumes (220 à 280), une nouvelle tradition apparait : le caractère de génération (字輩, zi bei). Celui ci peut être inséré dans le prénom de naissance, ou dans le prénom de style. Je reparle du caractère de génération plus bas.

Beaucoup des Chinois aujourd’hui n’ont que deux parties dans leur nom : le patronyme plus le prénom (姓名). Le shi a semble-t-il disparu depuis longtemps et le zi est tombé en désuétude.

Maintenant que le minimum de trois caractères est obligatoire pour les noms, il y a plusieurs façons de les choisir. Le premier caractère est normalement le nom du père. Pour les deux autres caractères, certains parents choisissent tout simplement au hasard, ou en tout cas des caractères qui ont une bonne signification et une bonne prononciation. D’autres prennent pour second caractère le nom de la mère, seul le troisième caractère étant le prénom, d’autres choisissent de former un prénom en répétant un même caractère, etc.

Notre choix de nom

Nous avons choisi une autre méthode, plus traditionnelle, utilisant le caractère de génération. Mais commençons par le commencement… J’avais annoncé un fait assez curieux concernant le nom chinois de mon futur enfant : son patronyme sera celui de sa grand-mère maternelle.

Normalement, l’enfant doit porter le nom du père. J’ai un nom chinois, mais il est évident que ce nom d’emprunt ne saurait être celui de mes futurs enfants. Ils porteront bien sûr le nom de leur mère (en tout cas pour leur nom chinois, ils porteront mon nom dans leur nom français). Ce nom est Xiong (熊, qui veut dire « ours »). Xiong est aussi le nom de la mère de ma femme (le nom de son père est Chen). Non, ce n’est pas du matrilignage. Il se trouve que le grand père paternel du père de ma femme portait le nom Xiong. Il a, pour une raison inconnue de moi, été élevé dans une famille au nom de Chen, et a pris ce nom de famille, ainsi que tous ses enfants et petits-enfants (dont le père de ma femme). Pour d’autres raisons obscures, à la troisième génération les enfants reprennent le nom de leur arrière-grand-père. Ainsi contrairement aux apparences, ma femme a pris le nom de son arrière-grand-père de la lignée mâle, et non le nom de sa mère. C’est aussi le nom que prendront mes enfants. Reste à déterminer les deux autres caractères…

Il n’y a vraisemblablement plus de shi en Chine, et en particulier dans notre famille. Pour choisir les deux autres caractères de nos enfants, nous devons donc choisir un prénom ming en deux caractères. Nous choisissons la méthode traditionnelle utilisée jusqu’à la génération des parents de ma femme, mais globalement tombée en désuétude aujourd’hui : l’insertion d’un caractère de génération dans le prénom. L’ensemble sera donc composé d’un caractère pour le nom, un caractère de génération, et un caractère individuel pour le prénom.

Chaque famille chinoise a normalement un « livre de généalogie » (家谱, jia pu). Je dis « normalement » car beaucoup de familles ont perdu le leur, notamment après la modernisation forcée de la révolution culturelle. Le livre de généalogie comporte le noms des ancêtres, ainsi que l’histoire de la famille, les migrations des personnes, des arbres généalogiques, etc. Certains de ces livres ont plusieurs centaines d’années, voire plus de mille ans.

Remarque : les arbres généalogiques présents dans le livre de généalogie sont des arbres de descendance, et non d’acendance. En effet, le livre de généalogie est constitué à partir d’un ancêtre qui transmet le document à sa lignée mâle (en priorité à l’aîné de ses fils, sauf si celui-ci n’a pas de descendance mâle). L’arbre généalogique est donc un arbre qui représente les lignées mâles avec éventuellement les noms des filles et des épouses. Mais avec ce document, on ne peut reconstituer qu’une lignée dans un arbre généalogique ascendant, forme qui nous est plus familière.

Dans le livre de généalogie, il y peut aussi y avoir une partie importante : le poème de génération (字辈诗, zi bei shi), qui est un texte d’une dizaine à plusieurs centaines de caractères, chaque caractère servant à désigner une génération. Ainsi le premier des caractères du prénom est justement ce caractère de génération. C’est un caractère non seulement partagé par une fratrie, mais aussi par les cousins et cousines tang, car ils sont issus de même génération et même lignée mâle. Puisque le poème comporte un nombre fini de caractères, on arrive à sa fin au bout d’un certain nombre de génération. On peut alors revenir au début du poème, ou bien le rallonger. Le poème de la famille de Confucius par exemple en possède une cinquantaine. On appelle cela « poème » mais il semble qu’il n’y ait pas forcément un sens global aux caractères juxtaposés.

Sur l’image ci-dessous, un arbre généalogique descendant, avec en évidence les caractère de génération (ce n’est qu’un extrait entre la 4ème et la 9ème génération d’un arbre, trouvé sur internet)

arbre généalogique Chine

Toutes les personnes présentes portent le même nom de famille (issus d’un même ancêtre en lignée mâle). On voit bien que les cousins même à un degré très éloigné portent le même caractère de génération. Parfois, à une génération, on n’utilise pas le caractère…

Nous avons donc choisi d’utiliser ce système ancestral pour le prénom de nos enfants. Malheureusement, ce livre de généalogie n’est pas facilement accessible. Puisqu’il se transmet à l’aîné des fils, ou celui ayant une descendance mâle, plus les générations passent et plus il est facile de le perdre dans une branche éloignée de cousinage. À moins que les ancêtres aient eu l’intelligence de faire des copies aux différents fils…

Ainsi, du côté du père de ma femme, le livre de généalogie demeure introuvable, et du côté de sa mère, il se trouve à Chongqing, dans les mains du petit frère de son grand-père (le grand-père est l’aîné mais n’a pas de descendance mâle à la deuxième génération, le document revient donc à son petit frère qui lui a une descendance mâle)

J’aimerais beaucoup avoir entre mes mains ce livre. Il fait en quelque sorte partie de l’héritage de mes enfants. Pour le moment je n’y ai pas accès mais je compte aller un jour à Chongqing et en faire une copie. Après avoir appelé le 3ème grand père paternel qui possède le dit livre, il nous a appris que le caractère de la génération qui vient est wan (万, qui signifie « dix mille »).

Bref, les deux premiers caractères des noms de nos enfants sont déterminés, même si cela s’est fait laborieusement. Reste plus qu’à choisir librement le dernier caractère, en faisant en sorte que l’ensemble sonne harmonieusement !

2 réflexions au sujet de « Noms et prénoms en Chine »

  1. Coucou, je suis aussi à la recherche (difficilement) de ce fameux livre qui contient le prochain caractère nos prochains. Et je ne sais comment me le procurer…Si tu as une idée je suis preneuse. Au plaisir de te lire.

    1. Bonjour,

      En fait, j’ai réussi depuis la rédaction de cet article à obtenir une copie du livre de famille. C’est très intéressant car il contient l’histoire de tous les Xiong de la famille depuis plusieurs siècles (les hommes de la lignée paternelle, ainsi que leur épouses et tous les enfants, filles ou garçons).
      Comme déjà expliqué dans l’article, la situation familiale est particulièrement compliquée à cause de l’histoire de l’arrière grand-père de mon épouse, né Xiong mais élevé par des Chen. De ce côté là, c’est avec certitude que nous n’aurons jamais le livre de la famille. Comme (par hasard ou par chance) la mère de mon épouse s’appelle aussi Xiong, nous avons choisi de reprendre le poème de génération de ce côté-ci. Finalement le frère du grand père nous a donné une copie du livre.
      Attention, les deux familles ont comme nom de famille Xiong, mais bien entendu, il n’y a pas de lien entre les deux et bien entendu le poème de génération ne pourrait pas être le même. Cela signifie que vous ne pouvez pas prendre n’importe quel poème de génération d’une famille portant le même nom que le vôtre, et toute recherche sur internet est exclue.
      La seule solution, c’est de demander à votre famille en Chine, plutôt chez les anciens, et plutôt des hommes car le livre ne se transmet qu’aux hommes. Voyez du côté de votre père, ses frères, ou oncles, ou cousins « tang », etc. Il ne faut pas hésiter à demander à entrer en contact avec de la famille, même qui semble éloignée, tant qu’elle appartient à la lignée paternelle. Peut-être que votre famille proche ne saura pas où se procurer le document, mais peut-être qu’un cousin remue-germain oui saura. En général, dans les familles plutôt traditionnelles et de bonne condition sociale, le livre est toujours conservé !
      Bon courage dans vos recherches !

      Pierre-Jean

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