Nouvel an chinois en famille

Dans le dernier article, je parlais du nouvel an fêté par les Yis à Liangshan. Dans cet article, je vais décrire comment se passe un nouvel an chinois à Liangshan, en famille. Je ne vais pas parler des défilés de dragons dans les rues, qui sont un aspect visible et bien connu de la fête du printemps (autre nom du nouvel an chinois), mais plutôt de ce que l’on fait en famille.

Encore une fois, je présente les traditions telles qu’on les pratique dans ma famille. Je pense que beaucoup de ces traditions sont partagées par la majorité des Hans de Chine, mais il peut y avoir des différences suivant les régions ou les localités…

Cette année 2016, le nouvel an était le 8 Février. Comme expliqué dans le dernier article, la date est déterminée par le jour de la seconde nouvelle lune après le solstice d’hiver. Le nouvel an célèbre traditionnellement la fin de l’hiver et donc le début du printemps. La fête est donc appelée la fête du printemps (春节, chunjie). Cette fête dure en fait deux semaines, jusqu’au 15ème jour du premier mois.

Bon, pour ma part, je trouve que l’hiver n’est pas terminé. Quelques semaines avant le nouvel an, Leibo était entièrement recouverte de neige. Ce weekend encore, une fine neige est tombée sur la ville. Il fait encore froid, et nous le ressentons d’autant plus qu’ici personne ne chauffe sa maison. D’ailleurs, même en plein hiver, il y a presque toujours une fenêtre ouverte pour aérer, nous sommes donc toujours habillés à l’intérieur comme à l’extérieur (pull de laine, doudoune, etc).

Bref, voici quelques traditions du nouvel an dans ma famille, présentées dans un ordre à peu près chronologique :

Tradition n°1 : faire le ménage dans la maison

C’est un peu le grand nettoyage de printemps. Pour préparer le nouvel an, on commence à ranger la maison, et à faire le ménage, pour que tout soit bien propre.

Cela se fait une semaine avant le passage à la nouvelle année, pour le guoxiaonian (过小年) , littéralement le « petit nouvel an ».

Bon, comme la maison est bien entretenue, nous n’avions pas grand chose à faire !

Tradition n°2 : coller des bandes rouges autour de la porte de sa maison

Le petit nouvel an est aussi l’occasion de coller des bandes de papier rouge autour de la porte d’entrée de sa maison. Jusqu’à une époque récente, on les faisait soit même en calligraphiant les caractères au pinceau et à l’encre de Chine sur des bandes de papier rouge. On en dispose une horizontale au dessus de la porte et une verticale de chaque côté, de cette façon :

Porte nouvel an Chine

Les caractères écris constituent des vœux de chance pour la nouvelle année.

Tradition n°3 : les repas en famille

La fête du printemps est une fête que l’on passe en famille. L’équivalent occidental pourrait être la fête de Noël. Les enfants, partis travailler en ville, reviennent chez eux pour passer une ou deux semaines avec la famille. Je parle ici de la famille élargie. Pour nous, il ne s’agissait donc pas de rester seulement entre ma femme, mon fils et moi, ainsi que les beaux parents, mais de passer du temps avec les frères et sœurs des beaux parents, voire leurs cousins, et bien sûr les cousins de ma femme, et leurs enfants. Cette année, les grands-parents de ma femme passaient le nouvel an à Xichang avec une tante et sa famille, sinon nous nous serions tous retrouvés autour d’eux.

En fait, à Leibo, et particulièrement dans ma famille, les liens familiaux sont très forts et on voit déjà très souvent tout ce petit monde là, donc il y a peu de différence avec l’ordinaire sauf que nous sommes encore plus nombreux, de même que les plats. Contrairement aux Yis qui ne mangent que du cochon pour leur nouvel an, les Hans ont une grande diversité de viande (au moins du poulet, du canard, du cochon, du bœuf, de la chèvre et du poisson). On n’a pas peur de faire trop : les aliments se conservent bien en hiver et on peut donc les manger plusieurs jours.

Il n’y a pas qu’un repas du nouvel an, mais une succession de repas : un jour on va chez l’un, le lendemain chez l’autre. Cela dure plusieurs jours, avant et après le premier de l’an. Un midi on s’est tous rassemblé dans la maison de la grand-mère de ma femme, le jour suivant chez une de ses tantes, le jour d’après chez le frère de sa grand-mère, puis chez un oncle, puis chez une autre de ses tantes…

Tradition n°4 : les hongbao

Il n’y a pas d’équivalent des hongbao en France. Le mot hongbao (红包) se traduit littéralement par « enveloppe rouge ». Il s’agit de donner une enveloppe rouge contenant de l’argent à différentes personnes. Un équivalent occidental pourrait être les étrennes, que l’on distribue au début de l’année, mais les hongbao ne sont pas réservés à cette occasion. On distribue des hongbao pour de nombreuses occasions, par exemple les mariages.

Pour le nouvel an, nous devons distribuer des hongbao à tous les puînés (frères, sœurs, cousins et cousines moins âgés) non encore mariés, ainsi qu’aux enfants des membres de la fratrie (aînés et puînés) s’ils en ont. On donne toujours un chiffre rond, par exemple 200 yuans (un peu moins de 30 euros) en deux billets de 100 yuans. Le montant que l’on donne dépend de la condition économique de la famille.

Tradition n°5 : les feux d’artifice

Comme chacun sait, ce sont les Chinois qui ont inventé la poudre à canon et les feux d’artifice.

En Chine on utilise des feux d’artifice ou des pétards en différentes occasions. Lorsqu’une nouvelle boutique s’ouvre, il est de coutume de faire exploser un rouleau de pétards sur le trottoir (c’est un rouleau qui fait plusieurs centaines de pétards et qui peut durer une minute ou plus). On utilise également des rouleaux de pétards pour les mariages, et aussi dans les cimetières (voir tradition n°8). Pour les feux d’artifice (fusées et bombes dans le ciel), on les utilise généralement lorsque quelqu’un décède.

Mais c’est pour le nouvel an que l’on utilise le plus de feux d’artifices et pétards. Une famille peut facilement dépenser l’équivalent d’une centaine d’euros rien que pour cela. Voici un échantillon de ce que nous avons utilisé cette année :

Feux d'artifice nouvel an chinois

Il y a tout un assortiment de pétards, torches, fusées, etc.

C’est le soir du dernier jour de l’année que nous lançons tous ces feux d’artifices. Comme nous passons le réveillon chez les grands parents de ma femme qui possède à Leibo un immeuble de 7 étages, nous allons tous sur le toit un peu avant minuit et à l’heure fatidique, nous allumons toutes les fusées les unes après les autres.

Du haut du toit, on a une très belle vue sur toute la ville, et on peut apprécier les centaines de feux d’artifices, lancés par tout le monde tout autour. Certains lancent des fusées vraiment énormes. C’est assez impressionnant !

Les feux d’artifices continuent comme cela pendant une bonne demi-heure au moins. Il est préférable de ne pas sortir dans la rue tant que ce n’est pas terminé.

Dans les grandes villes de Chine aujourd’hui, on peut de moins en moins assister à ce spectacle. Pour des raisons de sécurité et de limitation de la pollution, on interdit le lancer anarchique de feux d’artifices. Il est vrai que l’ensemble de l’air de la ville se remplit d’une fumée soufrée et le sol des rues est jonché de morceaux de pétards éclatés.

Tradition n°6 : les raviolis

Cette année, comme les grands parents étaient à Xichang, nous n’avons pas mangé de raviolis mais traditionnellement, la grand-mère en prépare immanquablement. Les raviolis sont faits à la main et on les consomme le soir du réveillon, une fois que tous les feux d’artifice sont lancés, avant de retourner chez soi.

Les raviolis, en chinois jiaozi (饺子) peuvent être fourrés de différentes choses mais généralement c’est de la viande de porc.

Tradition n°7 : les tangyuan

Nous voici au matin du premier jour de l’an. On se lève très tôt, après une courte nuit. En effet on doit passer la matinée au cimetière (voir tradition n°8). Pour le petit déjeuner, le repas traditionnel immuable est le bol de tangyuan (汤圆). Les tangyuan, mot dont il n’existe pas de traduction en français à ma connaissance (ou bien des « boulettes de riz » ?), se présentent sous forme de boules blanches de 2 à 4 cm de diamètre environ. Elles sont constituées d’une enveloppe à base de farine de riz (du riz gluant), et un intérieur rempli d’une pâte (plutôt sucrée que salée) comme des haricots rouges, des cacahuètes, ou du sésame. Il en existe aussi (mes préférés) fourrés à la confiture de fraise ou de pétales de rose.

On en consomme dans notre famille le premier jour de l’an, mais on en consomme aussi traditionnellement le 15ème jour du premier mois, qui est la fête des lanternes (元宵节, yuanxiaojie), et le dernier jour de la fête du printemps, le jour où il y a des défilés de dragons dans les rues.

Tradition n°8 : visiter les ancêtres morts

Cette tradition est moins connue que d’autres, pourtant elle a une importance fondamentale. Le matin, après avoir avalé son bol de tangyuan, nous nous rendons aux cimetières. Nous allons voir les ancêtres disparus, dans notre cas le grand-père paternel de ma femme ainsi que la mère de son grand-père maternel.

Les tombes sont installées sur la montagne, parfois de manière anarchique. On parle de « monter » vers les tombes (上坟, shangfen). Il n’y a encore pas si longtemps, on se levait avant l’aube car on y allait à pied. Aujourd’hui, on peut se lever un peu plus tard et prendre la voiture…

Nous allons d’abord voir les tombes du père et du frère de mon beau-père, installées sur une même montagne. Après nous rejoignons la famille de ma belle-mère pour visiter l’arrière-grand-mère, qui occupe une tombe sur une montagne surplombant le fleuve Yangtsé.

Cimetière Chine

J’ai le droit aux histoires que mon beau-père me raconte au sujet des défunts. Il m’apprend non sans fierté que le convoi funéraire à la mort de son père était constitué de 34 voitures, ce qui à l’époque (en 1997) était beaucoup car la quasi-totalité des véhicules appartenait à l’état, très peu étaient des véhicules privés. J’apprends aussi qu’à la mort de sa mère, on avait tiré des dizaines de coup de feux en l’air. Quant-à l’arrière grand mère, qui est née avant 1900 sous la dynastie Qing, elle avait de tous petits pieds, selon la mode d’alors qui consistait à serrer les pieds des filles dans des bandes de tissu pour qu’ils restent petits, car cela était un critère de beauté. Elle a vécu jusqu’en 1990 donc ma femme l’a à peine connue, mais mon beau père me dit qu’elle était toujours restée très active, même si elle marchait en faisant de tout petits pas. Cette mode pour le moins traumatisante pour les pieds (pour ne pas dire une pratique barbare) a disparu progressivement au début du XXème siècle, à partir de la république en 1912.

Sur chaque tombe est inscrit au milieu le nom du défunt, mais aussi sa descendance (enfants, petits enfants). Ainsi, sur la tombe de l’arrière-grand-mère, on trouve à côté de son prénom le terme « mère des ours » (熊母) car le nom de son mari était « Ours » et sa descendance à Leibo porte ce nom. On a ensuite le nom de ses descendants vivants à l’époque de son décès.

Comment se déroule une visite ? Et bien on dépose des aliments qu’aimait le défunt (oranges, clémentines, verre d’eau de vie…) sur la tombe puis chacun s’agenouille et s’incline trois fois devant, après avoir allumé des bâtons d’encens. On parle alors à l’ancêtre et on peut lui demander de nous aider dans la vie. Puis on plante les bâtons d’encens devant soi et on se relève. Une fois que tout le monde a terminé, on brûle de la fausse monnaie en papier sur sa tombe à destination de l’ancêtre dans l’au-delà. On en dispose aussi sur le dessus de la tombe, et parfois sur les tombes de ses voisins d’éternité.

Pour la nourriture, on ne se contente pas de déposer des oranges, on pique-nique aussi sur la tombe et on partage ainsi le repas avec l’ancêtre. On mange des oranges ou des saucisses, certains fument un début de cigarette qu’ils déposent ensuite sur un rebord de la tombe, ou boivent une gorgée d’eau de vie avant de déposer le verre sur la tombe. Enfin, on allume une bande de pétards et c’est terminé.

Pour ceux qui se poseraient plus de questions sur les croyances des Chinois, je pourrais faire un article à part à ce sujet. En gros ma famille n’est ni bouddhiste, ni taoïste, mais croit à de très anciennes croyances comme le culte des ancêtres. J’aurais tendance à que ce culte des ancêtres se rapproche un peu du culte des saints dans l’église catholique, qui est sûrement issu d’une tradition plus ancienne intégrée à la religion, mais qui n’est pas un concept biblique (c’est d’ailleurs rejeté par les protestants). Le culte des ancêtres en Chine a de même été intégré dans la « religion chinoise » qui est un syncrétisme entre anciennes croyances, confucianisme, taoïsme et bouddhisme…

Tradition n°9 : porter des vêtements neufs

Le premier jour de l’année, on met ses vêtements neufs, pour entrer tout beau tout propre dans la nouvelle année (certains les mettent dès la veille).

Si le signe de la nouvelle année en question correspond à votre signe astrologique chinois, vous pouvez porter des sous-vêtements rouges (chaussettes, caleçons et culottes, etc), éventuellement décorés avec l’animal. On dit que cette année, où vous fêterez un anniversaire multiple de 12 (puisque les signes astrologiques s’alternent sur un cycle de 12 ans), est votre benmingnian (本命年).

Les enfants ne sont pas en reste. On leur met des vêtements traditionnels chinois :

Enfants chinois costume traditionnel

Les vêtements ci-dessus sont appelés tangzhuang (唐装). Attention, il ne faut pas se fier au nom : ce ne sont pas des costumes de style Tang, la grande dynastie chinoise ayant régné entre 618 et 907. Ce qu’on appelle aujourd’hui « costumes traditionnels chinois » sont en fait généralement des vêtements datant de la dernière dynastie, la dynastie Qing (1644-1912) qui est en fait une dynastie mandchoue et non une dynastie han. Les costumes traditionnels hans sont appelés hanfu (汉服), dont par exemple le kimono japonais est issu. Les hanfu, d’origine très ancienne, était interdits sont les Qing et son usage a donc complètement disparu, toutefois une mode récente du XXIème siècle tente de remettre au goût du jour le costume traditionnel de l’ethnie Han au détriment des costumes mandchous, mais c’est un autre sujet…

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