Classification du thé : thé blanc, thé vert, thé noir, etc

Dans un article précédent sur le thé tibétain, j’évoquais la classification chinoise du thé, différente de celle que nous utilisons en occident. Je vais détailler cette classification dans cet article.

Ce weekend, la poste m’a apporté un joli colis, plein de différents thés qui s’ajoutent à ma petite collection, en bon amateur de thé que je suis.

Assortiment de thés de Chine

Ces thé viennent tous de la municipalité de Ya’an, dans la province du Sichuan. Il y en a une grande diversité : thé blanc, thé vert, thé rouge, thé noir… Une très bonne occasion pour faire le point sur ces différentes « sortes » de thé.

Le thé

Petit rappel, le thé est une boisson infusée à base de feuilles de théier. Le théier appartient à la famille de théacées, appelée aussi officieusement famille des camélliacées. Le thé est une espèce au sein de cette famille. Son nom latin est le camellia sinensis. Ce qu’on appelle communément « camellia » (plante décorative à fleurs que l’on trouve dans nos jardins en occident) est l’espèce camellia japonica, elle appartient à la même famille que le thé.

La quasi totalité du thé consommé est issu du camellia sinensis. La classification des thés ne se fait donc pas en fonction de cela.

L’espèce comporte plusieurs variétés, dont deux cultivées : le camellia sinensis var sinensis qui est cultivé en Chine et le camellia sinensis var assamica qui est cultivé en Inde. Ces deux pays sont de loin les plus gros producteurs au monde. De ces deux variétés on peut produire toute sorte de thé (du thé blanc au thé noir).

Un peu d’histoire

Le thé se trouve à l’état sauvage dans des zones montagneuses de différents pays d’Asie (le thé pousse à des altitudes comprises à 1000 et 2000 mètres environ).

La culture du thé a commencé dans le Sud-Ouest de la Chine actuelle, dans l’Ouest du Sichuan et le Nord du Yunnan. La légende chinoise veut que ce soit l’empereur Shennong qui ait inventé la boisson au 3ème millénaire avant notre ère, mais plus vraisemblablement la culture du thé a débuté à la fin du premier millénaire avant notre ère. On trouve les premières traces de consommation pendant la dynastie Han de l’Ouest (-206 à -24). Pendant le règne de Xuan (-91 à -49), des théiers auraient été plantés à Mendingshan, dans la municipalité de Ya’an. Cela pourrait être une des premières fois qu’on ait cultivé le théier pour en faire la boisson.

Remarquez qu’on trouve dans certaines régions des théiers millénaires, qui sont des arbres de plus de 10 mètres. Certains invoquent cet argument pour démontrer que c’est de là que vient initialement la culture du thé. Au contraire, cela montre qu’on n’y cultivait pas autrefois de théiers car la hauteur des arbres n’est pas du tout adaptée à la cueillette et donc à la culture : ce sont des théiers sauvages. Bref…

La consommation se popularise en Chine au premier millénaire de notre ère. Durant cette période, le thé est consommé bouilli.

Lors de la dynastie Tang (618 à 907), est écrit le premier ouvrage au monde écrit spécifiquement sur le thé : le Classique du thé (茶经) par Lu Yu. Au 7ème ou 8ème siècle, la route du thé et des chevaux est établie entre le Sichuan et le Tibet (j’en parlais dans l’article précédent sur le thé)

Au 9ème siècle, le thé est introduit au Japon et dans le monde arabe. Après l’invasion mongole au 13ème siècle et la conquête du Yunnan, la culture du thé s’y développe.

Après la dynastie des Tang, c’est l’ère du thé battu, dynastie Song (960 à 1279). Le thé est alors réduit en poudre avant d’être battu avec un fouet en bambou et de l’eau (ça fait de la mousse). Ce type de préparation du thé existe encore au Japon, mais plus en Chine.

À partir de la dynastie Ming (1368), c’est l’ère du thé infusé. On fait infuser les feuilles entières.

Le thé est connu par les Européens depuis des siècles. En 1560, le père jésuite portugais Jasper de Cruz en ramène de Chine. Le jésuite français Alexandre de Rhodes qui a passé 25 ans en extrême orient en vente les bienfaits au 17ème siècle.

Au 17ème siècle, les Anglais, Hollandais, et Français veulent contourner le monopole arabe sur le commerce avec la Chine (notamment route de la soie), et cherchent des routes commerciales maritimes. Il se crée différentes compagnies des Indes orientales : en 1600 la East India Company, plus tard la Vereenigde Oost Indiche Compagnie puis la Compagnie des Indes Orientales. La East India Compagny devient une compagnie extremement puissante (contrôle de la production de thé et d’opium en Asie).

À partir de la fin du XVIIIème siècle, les anglais établissent un commerce triangulaire : production à bas coût d’opium dans les colonies britanniques, échange contre le thé en Chine, et revente du thé à prix fort
en Europe…

Étant donné les mauvaises conditions de transport (transport en bateau pendant des mois, avec beaucoup d’humidité), on a privilégié l’import du thé noir au thé vert, car il se conserve mieux.

Au 19ème siècle, la Chine minée par l’opium et la corruption, décline et perd les deux guerres de l’opium. L’empire chinois disparait début du 20ème siècle.

En 1880, Thonas Lipton crée une société à son nom. Il invente le thé en sachet. C’est un thé de mauvaise qualité, mais avec beaucoup d’additifs et un goût puissant.

Depuis 1970, on commence en Europe à boire du thé de qualité et non uniformisé.

La classification du thé en Occident

En occident, le grand public ne connaît guère que le « thé vert » et le « thé noir ».

Pour certains, le thé se limite même au thé noir : thé ceylan, thé darjeeling, thé earl grey, etc. Cela tient à des raisons historiques : on a commencé à n’importer que du thé noir pour des raisons de conservation, et on a distingué les thés en fonction de leur provenance, ou bien du parfum ajouté (bergamote pour le earl grey par exemple).

Ces thés noirs sont complètement oxydés donc de couleur très noire. De façon générale, on a tendance à classifier le thé uniquement en fonction de la couleur des feuilles : si les feuilles sont vertes, c’est du thé vert, si le thé est noir, c’est du thé noir.

Les amateurs connaissent aussi du thé oolong (ou wulong) situé entre le thé vert et le thé noir (couleur brune), le thé blanc (parfois présenté sous forme de feuilles blanches). Parfois on parle de thé rouge (la couleur des feuilles est effectivement rouge, mais cette boisson n’est pas issue du théier mais d’une plante poussant en Afrique du Sud et qui n’a rien à voir avec le thé : le roobois. L’appellation « thé rouge » est purement marketing)

Il n’y a pas toujours correspondance entre la couleur du thé et le fait qu’il soit un thé vert ou un thé noir. Par exemple on trouve en Chine des « thés blancs » et « thé jaunes » qui sont de couleur verte, des thés de couleur noire qui ne sont pas des thés noirs, des thés noirs qui ne sont pas de couleur noire (en occident le thé noir est toujours complètement oxydé donc effectivement noir, mais ce n’est pas le cas en Chine)

La classification du thé en Chine

En Chine, les différents thés sont aussi classés par couleur : thé blanc, thé vert, thé jaune, thé bleu-vert, thé rouge et thé noir. Voici quelques exemples de chacun de ces thés :

Thé vert (绿) : Huang Shan Mao Feng (Huangshan), Gunpowder (très connu, utilisé pour le thé à la menthe)
Thé blanc (白) : Bai Hao Yin Zhen (province de Fujian)
Thé jaune (黄) : Mengding Huang Ya (de Ya’an)
Thé bleu-vert (青) : Tie Guan Yin (province de Fujian), On en trouve beaucoup à Taïwan
Thé rouge (红) : Peu consommé en Chine, c’est ce qu’on appelle « thé noir » en occident.
Thé noir (黑) : Puerh, thé tibétain, etc. On les appelle « thés post-fermentés » (même si je préfère dire simplement « thé fermentés »). Ne surtout pas croire qu’il n’y a que le thé puerh dans cette catégorie ! Il y a thé noir cru et thé noir cuit (voir plus bas).

À partir de maintenant, je n’utiliserai que cette classification pour parler des différents types de thés, sauf mention contraire.

La classification vient aussi globalement de la couleur des feuilles, même s’il n’y a pas de correspondance parfaite. On prend aussi en compte la couleur de l’infusion : le thé rouge, qu’on appelle donc thé noir en occident donne globalement une infusion rouge. L’infusion de thé blanc n’est pas colorée, celle de thé jaune est globalement jaune. Mais bon, cela ne fonctionne pas toujours : l’infusion de certains thés noirs n’est pas particulièrement sombre…

La vraie classification s’explique par le procédé de fabrication. Les couleurs ne sont là que pour nommer plus commodément les choses (à la place de « thé vert », on ne va pas parler de « thé flétri-chauffé-roulé-séché » !)

Oxydation et fermentation

Lorsque la feuille est cueillie, elle est verte. Ce qui va déterminer sa couleur finale, c’est son degré d’oxydation. L’oxydation est en gros la transformation des polyphénols contenus dans le thé.

L’oxydation enzymatique est un processus chimique qui se fait sous l’action d’enzymes (les polyphénoloxydases) et en présence d’oxygène. Pour libérer ces enzymes, il faut au préalable rouler les feuilles de thé (c’est ce qu’on fait dans le thé oolong ou le thé rouge). On stoppe l’oxydation en chauffant les feuilles de thé. C’est le chauffage, ou la torréfaction, qui conduit à la destruction des enzymes. Pour le thé vert, la torréfaction se fait juste après le flétrissage, ce qui fait que le thé vert n’est pas oxydé.

L’oxydation non enzymatique est une oxydation qui a lieu après torréfaction (et donc destruction des enzymes). On a ce type d’oxydation pour le thé jaune.

La fermentation est une opération qui elle est anaérobie (sans oxygène) ou dans un milieu pauvre en oxygène. Il n’y a que le thé noir qui subit une fermentation, tous les autres ne sont que des thés plus ou moins oxydés. La fermentation a lieu naturellement à l’intérieur du thé noir cru compressé (la compression rend le milieu anaérobie) mais opère aussi lors de la fabrication du thé noir cuit (mais là il y a aussi des mécanismes aérobies). La fermentation est un processus biochimique, effectué à l’aide de micro-organismes (Aspergillus niger principalement, mais aussi des Penicillium et des levures).

Thé blanc

Ce thé est celui qui a subi le moins de modification : il est simplement flétri (perte d’eau) puis séché. Il n’est pas roulé (car on ne veut pas qu’il s’oxyde) mais pas torréfié (donc les enzymes ne sont pas détruites : les feuilles sont donc tout de même légèrement oxydées). Ce thé n’est pas forcément de couleur blanche : ce sont les bourgeons qui sont blancs. On trouve des thés blancs qui sont donc plutôt de couleur verte (sans bourgeon), avec certes des reflets argentés. On reconnaît ce thé grâce à cette couleur et par le fait que les feuilles ne sont pas roulées.

thé blanc en sachet thé blanc

Thé vert

Ce thé est flétri puis chauffé (ou torréfié). Cette étape se fait traditionnellement à la vapeur ou au wok. Puis le thé est roulé (non pas pour libérer les enzymes qui sont détruites, mais pour faciliter l’infusion, libérer des arômes…) Le roulage est particulièrement net pour le gunpowder (feuilles roulées en boules). Le thé est enfin séché.

sachet meng ding gan lu thé Meng Ding Gan Lu

Thé jaune

Ce thé est très proche du thé vert. La différence est dans la technique de chauffage, puis de l’ajout d’une étape : on place les feuilles à l’étouffée pendant plus de 20 heures. Il se produit alors une oxydation non enzymatique. Les feuilles sont ensuite séchées.

Je n’ai pas de thé jaune en ce moment !

Thé rouge

Il existe différents procédés de fabrication mais en gros le thé est flétri, puis roulé afin de libérer les enzymes, puis il subit une oxydation enzymatique (1 à 3 heures), et il est ensuite séché. L’oxydation est comprise entre 70% (couleur brune, limite du thé oolong) et 100% (couleur très noire). Je ne vous parle pas de la méthode CTC qui contient une phase de broyage des feuilles… Traditionnellement en Chine, ce thé n’est pas complètement oxydé et présente une teinte brune-rouge.

boite thé rouge

thé rouge

Thé bleu-vert

C’est un thé semi-oxydé : son taux d’oxydation est entre 12% (limite thé vert) et 70% (limite thé rouge). Sa couleur peut donc être donc très variable, entre le vert et le brun. Les étapes de fabrication ressemblent à celles pour le thé rouge : flétrissage, roulage, oxydation enzymatique. Mais les techniques d’oxydation sont différentes (brassage), l’oxydation est plus courte et on torréfie les feuilles à l’issue pour stopper l’oxydation. La couleur de ce thé a effectivement des reflets bleutés.

Leibo qing cha thé bleu-vert

Thé noir

Le thé noir est un thé fermenté. Il existe en gros deux types : le thé cru (qui est nécessairement compressé) et qui fermente naturellement et lentement, et le thé cuit qui subit une fermentation accéléré (le produit fini n’est pas forcément compressé). On peut utiliser des branches en plus des feuilles pour produire ce thé.

Thé cru : traditionnellement, le thé noir est un thé. En gros il s’agit d’un thé vert qui au lieu d’être séché complètement à la fin est compressé en brique. Le vieillissement se fait ensuite lentement dans la brique. C’est ce qu’était le thé tibétain de Ya’an à l’origine. On compressait le thé car c’était plus simple de le transporter ainsi. Ce thé se bonifie avec le temps (on peut le conserver 20, 30 ans…) et il existe des crus, comme le vin. Ce thé n’est pas de couleur noire, même s’il s’oxyde lentement avec le temps et donc s’assombrit.

Thé cuit : ce thé a été développé dans la deuxième moitié du XXème siècle. Plutôt que d’attendre la fermentation naturelle, on accélère le processus en disposant le thé dans des grands tas que l’on arrose pour augmenter l’humidité et que l’on met parfois sous bâche. On ajoute également des ferments (qui peuvent varier d’une usine à une autre). Les mécanismes à l’intérieur des tas sont assez complexes. Il y a à la fois des mécanismes de dégradation (opération aérobie qu’on retrouve dans le compostage), une oxydation des feuilles et de la fermentation (opération anaérobie) qui est évidemment celle que l’on veut privilégier. Pour cela il faut de l’expérience pour bien maîtriser les conditions d’humidité et de température. Ce thé peut être compressé, mais pas forcément, contrairement au thé cru.

Photos de thé noir

Thé tibétain 2006, compressé, légèrement cuit (provenance Ya’an) :

brique thé tibétain 2006 thé tibétain 2006

Thé tibétain 2013, compressé, légèrement cuit (provenance Ya’an) :

brique thé tibétain 2013 gros plan thé tibétain 2013

Thé puerh cuit, 2006, compressé (provenance Yunnan) :

galette thé puerh thé puerh cuit thé puerh cuit

Thé tibétain 2012, cuit, non compressé (provenance Ya’an) :

sachet thé tibétain noir thé tibétain noir

Conclusion

Voilà pour un aperçu sur les différents types de thé. J’ai bien sûr simplifié les choses. Les procédés de fabrication des différents thés sont plus complexes dans la réalité et varient d’une usine à une autre. Pour un certain nombre de thés, plusieurs techniques de transformation sont additionnées, et mélangées, et il est difficile de les classer définitivement dans telle ou telle catégorie…

Il n’y a pas de type de thé meilleur qu’un autre. La qualité du thé varie en fonction de beaucoup de facteurs dont le terroir,  la façon de cultiver les plants, les techniques de transformation. Ensuite c’est une histoire de goût : le thé blanc est plus léger et rafraîchissant, le thé vert plus âcre et plus amer [EDIT: le thé vert est amer quand il est mal préparé, voir commentaire ci-dessous de Marc Aldou], le thé rouge plus puissant et plus riche en tanins (plus astringent : sensation d’assèchement dans la bouche), le thé noir peut avoir un goût de sous-bois (voire de moisi pour certains puerh)…

2 réflexions au sujet de « Classification du thé : thé blanc, thé vert, thé noir, etc »

  1. Bonjour
    Je voudrais vous féliciter pour la qualité de cet excellent article,
    Je suis moi aussi un grand amateur de thé, j’ai eu l’occasion de séjourner dans le Yunnan (Kunming, Jinghong, Menghai, Dali & Lijiang) j’ai eu la chance de voir l’évolution du thé, de la plantation au traitement thé cru ou cuit.. (à Menghai).
    Bref, j’ai pris grand plaisir a lire votre article « classification du thé » (tombé dessus par hasard je n’ai pas lu les autres), et pour une fois, je n’ai vu d’erreur, pas vu les absurdité que l’on trouve souvent dans certains ouvrages ou articles sur le net.
    Bravo, vous connaissez bien votre sujet, ça fait plaisir !!
    Il n’y a qu’une petite chose sur lequel j’apporterai une précision…
    Vous dites en fin d’article que le thé vert est plus acre et plus amer…
    En fait mis a part le gunpower qui lui est effectivement le plus amer qui soit (a ma connaissance) SI le thé vert est bien fait, c’est à dire à bonne température et un faible temps d’infusion , il n’est normalement pas amer, on peut y retrouver en revanche de l’âpreté et de l’âcreté …
    Si le thé vert est amer c’est qu’a un moment donné il y a eu faute dans la technique de préparation du thé….
    Il m’est arrivé une expérience dont je me rappellerai longtemps, il y a 4 ans, j’étais invité chez une chinoise (sur Nice), et voulant me faire plaisir, elle me proposa une dégustation de longjing de 1ere culture…. Qu’elle ne fut pas mon effroi quand je la vis mettre de l’eau bouillant à gros bouillons sur le thé… qui fut bien sur instantanément imbuvable par l’amertume dégagée…
    voila, sur ce, encore bravo pour votre excellent article….

    1. Merci beaucoup Marc pour votre commentaire et la correction apportée sur le thé vert, j’ai édité l’article en conséquence.

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