Introduction au dialecte du Sichuan

Depuis mon premier séjour en Chine en 2009, j’ai vécu principalement dans la province du Sichuan. J’y ai bien sûr appris -de façon passive- le dialecte du Sichuan, qui est un dialecte faisant partie du « mandarin du sud-ouest » (西南官话, Xinan guanhua). Voici une petite introduction à ce dialecte, avec ses différences avec le mandarin classique. Bien sûr, vous ne trouverez de l’intérêt à cet article que si vous connaissez déjà le mandarin classique ! Voilà, vous êtes prévenus.

Tout d’abord, il est utile de préciser que si on trouve le mandarin du sud-ouest dans le Yunnan, le Sichuan, le Guizhou, Chongqing, et le Hubei, les dialectes varient fortement d’une région à une autre. Dans le Sichuan, on parle surtout le dialecte du Sichuan dans les zones où il y a des Han, en revanche on parle le tibétain dans tout l’ouest et nord de la province, le nosu dans le sud, autour de Xichang (parlé par les Yi) et autres langues… Enfin, à l’intérieur du dialecte du Sichuan, il existe aussi des sous-dialectes, ou plutôt des accents. Ainsi le dialecte du Sichuan que je connais est principalement celui parlé à Chengdu, avec des influences sud-Sichuan.

Les différences entre le dialecte du Sichuan et le mandarin classique sont de l’ordre de la prononciation principalement, et aussi du vocabulaire.

Pour être le plus précis possible dans la phonétique, je vais utiliser l’alphabet phonétique international, noté entre crochets (pour moi, on devrait toujours apprendre une langue avec l’alphabet phonétique et jamais en alphabet latin).

Les différences de consonnes

En chinois, chaque syllabe est composée d’une consonne initiale et d’une voyelle finale (que ce soit un hiatus, ou seulement une voyelle simple). Le « y », qui donne le son [j], et le « w » qui donne le son [w] sont en fait des semi-consonnes du point de vue phonétique, même si elles ne font pas partie des consonnes initiales en chinois. Je les considère pour ma part comme des consonnes lorsqu’elle sont au début de la syllabe.

Le dialecte du Sichuan n’aime pas trop les syllabes qui n’ont pas de consonne initiale. Ainsi pour 爱 (en mandarin classique [aj]), on va lui ajouter devant la consonne [ŋ] ce qui donne [ŋaj]. Cette consonne est présente dans d’autres langues, par exemple les langues tibéto-birmanes comme le tibétain et le nosu, ou dans le vietnamien, et elle est généralement écrite « ng » avec notre alphabet. Cette consonne n’existe pas en français, mais on la trouve en anglais dans le « ing » final par exemple dans « parking » [ˈpɑːkɪŋ] (c’est le dernier son prononcé). De même la paix (安) se prononcera [ŋan] (parfois [ŋɛ]).

La consonne initiale « w », n’est pas toujours prononcée de la même façon dans le dialecte du Sichuan. Elle est normalement prononcée [w] ou [v] . Exemples : 喂 [wɛj] (allô) et 无 [vu] (rien). Cela dépend aussi des gens, certains ne la prononcent jamais [w] mais toujours [v].

Exception pour le 我 (je,moi) qui est toujours prononcé [ŋo]. Je soupçonne personnellement que cela vient de l’influence des langues tibéto-birmanes de la région dans lesquelles « je » se dit [ŋa].

Pour la consonne initiale « y », elle peut être légèrement « consonnisé » dans le sud du Sichuan, ce qui fait qu’elle se prononce entre le [j] et le [ʒ].

Pour finir, le mot 俄 (avoir faim) n’a pas non plus de consonne initiale dans le dialecte du Sichuan puisqu’il se prononce [o].

Pas de différence entre le dialecte du Sichuan et le mandarin classique pour les consonnes suivantes : b, p, m, d, t, z, c, s, j, q, x, g et k (sauf rares exceptions comme des transformations de b en p et g en k…)

Le « n » prononcé comme un « l » : 闹 (bruyant) se prononce ainsi [law] et 能 (pouvoir) se prononce [lœn].

Le « h » devient un « f » devant la voyelle « u » : cette confusion est assez curieuse car la différence est très nette en mandarin classique. Le « f » se prononce [f] (facile, comme en français !) et le « h » est prononcé [x] (un « h » expiré proche du « r »). Dans le dialecte, le « h » est donc prononcé [f] avant la voyelle « u » comme dans 湖 (lac) [fu].

Absence de « zh », « ch » et « sh » : ces consonnes n’existent pas dans le dialecte. Elle se prononcent toujours comme leur correspondant sans le « h ». Par exemple 这 (ce, ceci) se prononce [d͡ze], 出 (sortir) se prononce [t͡sʰu] et 说 (dire, parler) se prononce [so].

Prononciation du « r » : il se prononce comme [z], par exemple dans 日 [zɨ] (le soleil), ce qui est bien plus simple qu’en mandarin classique où la consonne se prononce [ɻ] (berk !)

Les différences de voyelles

Bon, après les consonnes, on s’attaque logiquement aux voyelles. Et là, c’est encore plus fun !

C’est plus fun en effet, car il y a beaucoup plus de « sons voyelles » que de « sons consonnes », et que ça part parfois en live…

Commençons par les sons simples, composés que d’une seule voyelle (a, e, i, o, u).

Les différences les plus notables sont pour le « e ». Le « e » ne se prononce jamais [ɤ], comme c’est le cas en mandarin classique. Il se prononce [e] après d, t, z, c, s, r et parfois k, et il se prononce [o] après l, g, h et parfois k. Enfin il se prononce [ɛ] dans la syllabe 呢 (interjection finale) [lɛ]. Exemples : le mot « chaud » (热) se prononce [ze], boire (喝) se prononce [xo]. Après la consonne « k » cela dépend : invité (客) se prononce [e] mais pouvoir (可) se prononce [kʰo].

Le « i » est prononcé parfois [ɛ] après les z, c et s. Par exemple « quoi » (en chinois 什么) se dit 啥子 en dialecte et se prononce [sad͡zɛ].

Le « a » est généralement bien prononcé [a]. Par contre, 那个, quand il est utilisé pour ponctuer la phrase (lors d’une hésitation par exemple), se prononce [lɛgo] au lieu de [nɛgœ]. Le « son voyelle » « an » n’est également pas prononcé [an] mais plutôt [ɛn] voire [ɛ] (le son final [n] étant très léger)

Pour finir avec les voyelles simples, le « u » est parfois « consonnisé » en un son vibrant proche de [f]. Par exemple amer (苦) ressemble à [kʰfu] (ce n’est pas exactement ça mais je ne sais pas comment le transcrire en phonétique ! On trouve cela surtout dans le sud du Sichuan je crois)

Le « uo » est assez marrant. Il se prononce parfois la plupart du temps [o] comme dans 错 (erreur) [t͡sʰo]. Par contre, 国 (le pays) se prononce [kwe] (là c’est chelou !)

La voyelle « ue » est aussi assez rigolote (tiens, ça fait longtemps que j’ai pas utilisé ce mot « rigolote ». Ce mot est ridicule mais bon, pas grave, vu que personne ne lira jamais cette phrase). Par exemple « aubergine » (茄子) se prononce [t͡ɕʰɥɛd͡zɨ] (en gros la voyelle se prononce [ɥɛ] au lieu de [jɛ]). La voyelle se prononce normalement dans « lune » (月) mais elle se prononce [jo] dans « étudier » (学) et même [jo] dans « musique » (乐) (alors que la voyelle est après un « y » comme dans « lune »…)

La voyelle « ao » peut aussi être amusante. En effet dans le « pied » (脚) elle se prononce [o] au lieu de se prononcer [aw]. De même dans « médicament » (药) qui se prononce [jo] au lieu de [jaw]. De même également dans 着 (quand il est utiliser pour préciser qu’une action est en cours), la voyelle est [o] à la place de [aw].

La voyelle « iu » a aussi une prononciation très spéciale dans le mot « six » (六) puisque ce mot se prononce [lu] au lieu de [ljo].

La voyelle « ai » se prononce comme « ei » dans le mot « cent » (白) qui se prononce [bej].

Le « g » final : en mandarin classique, le « g » final nasalise la consonne comme dans « ing », « ang », et « eng ». Dans le dialecte du Sichuan, il n’y a presque pas de son nasal (c’est aussi pour cela que le « n » se prononce comme un « l », les sons viennent de l’avant de la bouche). En particulier, « ing » se prononce comme « in » ([in]) et « eng » comme « en » ([œn]). Ce n’est pas valable pour « ang » et « ong ».

Les différences de tons

Comme vous le savez, le mandarin classique a 4 tons : le ton haut (55), le ton montant (35), le ton creux (214) et le ton descendant (51). On retrouve à peu près ces quatre tons dans le dialectes du Sichuan, sauf qu’évidemment ils ne sont pas du tout les mêmes ! Voici ceux que l’on trouve à Chengdu :

– Premier ton : 44 au lieu de 55

– Deuxième ton : 21 au lieu de 35

– Troisième ton : 53 au lieu de 214

– Quatrième ton : 213 au lieu de 51

On remarque que le deuxième et le quatrième tons sont très proches à Chengdu. Le quatrième ton peut cependant paraître plus long. On remarque aussi que les troisième et quatrième tons peuvent paraître inversés par rapport au mandarin classique (ici le troisième ton est descendant, et le quatrième ton est un ton creux !).

Tout cela est assez théorique. Si déjà vous ne maîtrisez pas les tons en chinois, ne pensez pas apprendre les tons en dialecte du Sichuan, il faut écouter pendant longtemps la langue avant de se l’approprier.

C’est assez théorique aussi car d’après les locaux eux-mêmes, le dialecte du Sichuan est une langue qui n’a pas de ton. Peut-être cette idée vient-elle du fait que les tons sont moins marqués. Certes. Par contre je trouve qu’il y a des syllabes longues et courtes très audibles…

Les différences de vocabulaire

Voici quelques mots de vocabulaire ou tournures de phrases qui à ma connaissance n’existent que dans le dialecte du Sichuan :

– rue (街) se prononce [gaj] au lieu de [t͡ɕjɛ]

– qui ? : on n’utilise pas 谁 mais 哪个, prononcé [nago]

– quand ? : ou combien de temps ? se dit 好久 [xawd͡ɕjo]

– comment ? : ne se dit pas 怎么 mais 咋个 [d͡zago]

– non / il n’y a pas (没有) se dit [mede]

– un peu (en mandarin classique 一下) se dit « 一哈 » [jixa] ou [ixa]

– savoir (en mandarin classique 知道) se dit 晓得 [ɕjawte]

– avoir peur (en chinois 怕) se dit [ɕɥ] (pas de caractère)

– dégage ! ne se dit pas 滚 mais 爬 [pʰa]

– chaussure (鞋) ne se dit pas [ɕjɛ] mais [xaj] (au départ je croyais que les gens parlaient de leurs enfants…)

– discuter se dit « 摆龙门阵 » [bajlɔ̃ŋmœnzœn]

– autant (en mandarin « 这么 ») se dit [lɔ̃ŋgo], parfois ils l’écrivent 弄个

– la tête ne se dit pas 头 mais 脑壳 [lawkʰo]

– salé ne se dit pas [ɕjɛn] mais [xan]

– aller (去) ne se dit pas [t͡ɕʰɥ] mais [t͡ɕʰjɛ] (le changement de voyelle se fait dans le sens contraire du mot aubergine…) Dans le dialecte de Leibo, le mot se dit [ke].

– la viande se dit [kaka] (et oui comme le caca, j’ai trouvé drôle quand on m’a dit de manger du caca la première fois !)

– pour dire « très » (很) on ne dit pas [xœn] mais [xao] (好)

– poser (un objet) : on n’utilise pas 放 mais 搁, qui se prononce [ko]

– après 明天 et 后天, il y a 万天 (dans trois jours donc)

– on ne dit pas 划算 mais 划着 et son contraire 划不着

– à la place de 不了 on dit 不到. Par exemple « je ne passe pas » se dit 我过不到

– « à l’intérieur de » ne se dit pas 里面 mais 头. Par exemple « Je suis à la maison » se dit : 我在屋头. « À l’intérieur du sac » se dit : 包包头

– à la place de 吧 (interjection finale servant à faire une invitation) on utilise 嘛 [ma]

– à la place de 对吧 (en fin de phrase, pour demander la confirmation)  on utilise 嘎 [ga]

– on utilise 三 [sɛ] à la fin d’une phrase pour appuyer une évidence. Par exemple « 我在屋头三 » veut dire « je suis à la maison (sous entendu : bien évidemment, comme si tu ne le savais pas !) »

– « absolument », dans le sens « n’en faire qu’à sa tête » : on emploie 鼓捣 [gudaw] ou [gudœ]. Exemple : on argumente avec quelqu’un pour lui dire de ne pas aller quelque part, mais il veut y aller absolument : 他鼓捣要去了

Voilà c’est tout pour aujourd’hui ! Il y aurait bien sûr un grand nombre d’exemples à donner, mais c’est tout ce qui m’est venu. Disons que c’est le plus basique. Vous pouvez aussi retrouver la façon dont on appelle les membres de la famille dans le Sichuan dans un article précédent.

Conclusion

Le dialecte du Sichuan n’est pas si différent du mandarin classique sur le papier. Par contre à l’écoute il est très différent. Une personne qui a vécu toute sa vie à Pékin aura besoin d’un temps d’adaptation de plusieurs semaines avant de bien comprendre le dialecte, et infiniment plus de temps pour le parler. D’autant que les Sichuanais parlent très vite !

Si vous voulez apprendre le dialecte du Sichuan, cet article sera un bon commencement, mais évidemment rien ne remplace l’écoute et la pratique, et au début, il est probable que vous parliez un affreux chuanpu (川普) c’est un dire un mélange assez moche entre dialecte du Sichuan et mandarin classique…

3 réflexions au sujet de « Introduction au dialecte du Sichuan »

  1. Super cet article, je vais regulirement a Chengdu (Qionglai) et certains passages me rappellent bcp d’annectodes 🙂

    Malheureusement j’ai encore trop de lacunes en mandarin pour pouvoir maitriser le sichuannais !

    1. Trop fort !! Par contre si tu peux ajouter qq (gros) mots, ce serait toujours utiles 🙂

      Bienvenue à Sichuan en tout cas et profites bien de la nourriture !

      1. En effet, il y a plein de gros mots en dialecte du Sichuan ! D’ailleurs ce sont souvent parmi les premiers mots qu’on apprend dans une langue, et je laisse au voyageur le soin de les découvrir par soi-même 🙂

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